Cui cui coin coin glou glou (Partie 2/5)Et le dimanche ! Et ces couverts en inox et ces immondes assiettes en porcelaine blanche pour montrer aux gens qu’on n’invite pas qu’on est nantis. Mais pas en couleur, quand même, c’est trop cher !On ne prie pas avant de s’asseoir, on n’est pas croyants, mais un petit silence ému chez les uns exaspéré chez les enfants fait partie du rituel dominical. Puis on s’assied. Puis mère se relève et revient avec les asperges qui s’égouttent sur le merveilleux plat à asperges, conçu pour que les asperges s’égouttent. Seul instant de grâce dans cet océan de plomb, les asperges. Même chez la reine d’Angleterre, les asperges se mangent à la main. On les saisit par la queue, on les trempe dans une sauce tiède, puis on les suce goulu, les asperges se sucent paillardes. Même dans la High society, même chez la reine d’Angleterre se sucent les asperges. Il n’y a que dans quelque brasserie du Boulevard Saint Germain, où quelque intellectuel s’ennuie à ne rien faire comme les autres, que les asperges se mangent avec des couverts. Quelques gouttes de jus s’écoulent à la commissure des lèvres. "Attention à la nappe !"Mes deux frères et moi transvasons les cadavres d’asperges dans une seule assiette, puis nous les empilons délicatement. "Attention, c’est du Limoges !" Et maman, seule habilitée à se lever de table pendant le repas, ramène la vaisselle sur l’évier de la cuisine. Pendant ce temps, des murmures en profitent pour s’échapper.Le champ de colza par la fenêtre. Le colza a une odeur humaine, comme une odeur d’après un éternuement. Maman me dit que je suis la seule à sentir ça…A suivre...
11 juin / série "20"
11 juin / Cui cui coin coin glou glou (Partie 2/5)
vendredi 11 juin 2010, par