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Richard Palachak

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisodes 25-26-27

mercredi 8 janvier 2020, par Blackout

Pour les livres de Richard Palachak, c’est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

 

Photo de Simon Woolf

Le 43, épisode 25 : Dédé

 
Ça fait 24 fragments que je retarde ce moment, mais là, je ne peux plus y échapper, faut que j’vous parle de ce vieux cochon de Dédé. Ce mecton cache bien son jeu, genre un peu Franco, sauf qu’il ferme volontairement le voile sur certains aspects de sa vie, que je ne vais pas révéler ici, sinon je serais le pire entubeur de l’année...
Vu de l’extérieur, un brave gars de la cinquantaine, avec un petit appartement de croà»ton, dans une petite rue de croà»tons, qu’il remonte avec un pot de yaourt de croà»ton. Pi de la salsa ni plus ni moins, gominé plaqué, porte-pipé Christopher Walken, attiffé cuir, jean, t-shirt blanc et collier chaîne àla rock and roll en mitaines. Et parfait pour le jactage en bonne société, cultureux, àla page, piquant et salé, du genre àtenir la queue de la poêle. Mais ça donnerait un portrait sacrément chiatique, emmerdant, casse-couilles pour le lecteur... s’il n’y avait pas la darkside àDédé.
Déjà, on ne peut pas broder ce gars sans évoquer Johnny, son Saint Esprit, son Franc Mitou, son feu de chiottes. Dédé l’a au corps, sous le bonnet, dans le sang. Dès qu’il loche une de ses chansons, y peut pas s’empêcher de beugler comme une vache qui bramerait comme un cerf qui braillerait comme un veau qui crierait comme un possédé qui t’écorcherait les oreilles às’en faire péter les hémorroïdes. Et ça fait marrer tout le monde, àle voir affà»ter ses balloches et secouer ses pognes en détaillant le couplet. La scène est impayable et Linda en chiale àse les mordre.
Enfin, y a les gonzesses. Dédé en est raide dingue et les abomine en même temps. Son refrain préféré c’est : « faut bourrer  ». Mais je sais pertinemment qu’il se ferait hacher pour un plan love avec une caille bien coiffée. D’un côté, ce saligaud m’envoie d’infâmes photos d’huîtres touffues et chie ouvertement dans la malle des grues et des paillasses effrontées, d’un autre côté Dédé a la fesse tondue pour les belles petites boulevardières qui lui tombent sous la main qu’il a sur la queue. Il est un peu en fenouil niveau meufs.
Pour finir, il aime bien fréquenter un disco-bar nommé l’Abreuvoir, où il peut faire le jeton de mate, seul, sans dégoiser un mot de la soirée, juste histoire d’admirer le paysage. Mais y s’engueuse également àcouillonner les vieilles carnes givrées du 43, pour la poilade, et finit par les insulter. En bref : un bon parti pour certaines, un véritable goujat pour d’autres. Et en ce qui me concerne, vu qu’on n’a jamais prévu de s’enfourailler, ça reste un ami. Mon ami. Mon meilleur ami.
 

Le 43, épisode 26 : Kalache en mode John Wayne

 
Eh ouais, vous avez bien loché, je vais parler de mon propre lard aujourd’hui.
Quand j’débaroule àBesançon, y a trois ans, c’est l’embrouillamini complet. J’ai jamais fait pousser de racines dans cette ville et j’rembroque nib et personne. Mon coup de pot c’est Dédé, qui connaît toute la fusée de la cambrousse. Alors y m’fait battre en ruine toutes les rues et bitures de la place. C’est ainsi que j’atterris comme une fleur de bouse au 43. Avec ses clients qui poussent des glaires sans discontinuer, pi son service aussi sympa qu’une moustache, y a pas àchier, c’est tout vu. J’mets directement l’embargo sur une table en terrasse, histoire d’y canonner jusqu’àma retraite. Le nanan de la petite rue piétonne et sa fourmillante engayeuse finit de prêcher le converti que je suis.
Un soir, un blaireau du bistrot bobo voisin, le Poème, vient se carrer dans mes quartiers, sans doute attiré par une araignée de bastringue àbelle devanture. Après discute àse clitoriser le nombril, ce connard de hipster àbarbe fournie d’enculeur de merde me sort :
 
- T’es pas si con que t’en as l’air, Kalache.
- Comment ça ?
- Ben quand on te voit englué dans ce PMU de déplumés, avec ta touche de hooligan et tes amis pochards, on s’imagine que t’es un butor, un veau, le mastar un peu simplet, tu vois...
- Moi quand j’te vois, j’imagine un jeune trou du cul de petit-bourgeois qui joue au mec aisé, urbain, éduqué, cultivé, de gauche et vaguement écolo. Un chimpanzé qui fait la pose dans la cage d’un troquet pour extraits de bidet.
- Ben faut pas se fier aux apparences, c’est la leçon de la soirée. Mais j’te donne quand même un conseil : change de look et de QG si tu veux pas passer pour un faisan.
 
Chuis un gniaf de pas lui décoller la tronche àce moment-là. Mais le gars finit par se plaire en ma compagnie, notamment grâce àMireille et Momo qui ont rejoint notre butinage. Y s’fait crème et tout beurre, tout en se pommadant de temps en temps. Pi quand Fredo ferme l’écurie, le trendy barbu nous propose une after àson appart’. Et nous v’làpartis, Momo, Mireille et moi, dans un gourbi du dernier cri, fashion àla surfeur en trottinette électro, tout de bois, de verre et de fibres naturelles Art Décoche. À peine arrivés, le flambeur du Poème veut nous faire du foin avec un concert feu de camp... pénible... miéleux... sérieux comme un pape.
Un peu rien àbranler, Mireille et Momo s’enfilent des bédos tandis que je me saoule plus que de raison. Force est de constater que l’ancienne directrice de théâtre municipal et que le gratteux pro depuis trente balais s’en torchent le cul. Quant àmoi, vu mon taux d’alcoolémie... rien àbattre. Au bout d’une heure de supplice musical, on quitte les lieux en remerciant chaleureusement notre hôte... qui me sort : « ouais, vachement faux-cul, tes remerciements !  »
Cette fois je vois rouge et sors de mes gonds. Les yeux exorbités de colère éthylique, j’ui demande d’oser répéter que chuis malhonnête. Et àdéfaut de témoins de secours, le gars sait que j’peux le dégommer sans que Mireille et Momo n’aillent au refil par la suite. Y s’dit qu’un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort, alors y trouillote et fait sa pleureuse en disant que j’ai mal interprété ses propos, qu’il est désolé, qu’il ne se sent pas bien en ce moment, bla, bla... Tel un moule àpets, le foutriquet baisse la trombine en regardant nos grolles foutre le camp.
J’vous ai prévenu, c’est du Kalache en mode John Wayne. Chuis pas fiérot d’avoir agi ainsi. Avec du recul, la couillonnerie de ce gars me fait pitié. Mais la vie ne fait pas de cadeaux... et le 43 chie de la purée pour les pleurards.
 
Richard Palachak Wayne JR
 

Le 43, épisode 27 : Éric

 
Éric, je l’ai connu dès mon premier pantalon. Déjàmoutards, on avait les mêmes poteaux, on allait aux mêmes anniv’, on avait dix piges àpeine. Alors, une fois sur Besançon, quand Karl m’apprend qu’ils sont copains comme rats d’égouts et qu’Éric traîne aussi ses balloches au 43, je nage dans du lait.
Mais l’oiseau est rare et ne sort que les jours de pluie. J’finis quand même par le débusquer un soir au comptoir, en compagnie de Karl et Dédé. C’est pas du genre àfaire sisite en terrasse, y préfère rester sur ses quilles, au plus près de la pompe àpression, àdonner le tournis aux réguliers du 43.
Éric, tu peux pas le louper. Cette grande saucisse au cresson blond comme du houblon squatte la moitié de la salle àcharrier constamment sa bidoche de cave en cave. Et la mort de ma vie, ce mec est une putain de plaie de moulin àparoles, un broutasseur àen crever, vacciné àla tisane avinée. Mais ce n’est pas le pire de ses défauts.
Ce bourrin d’Éric est un ivrogne au sens propre. Quand il boit, il se torche, y s’met minable, y te tombe dessus et part dans les broussailles. À la masse et soà»l comme trente-six cochons, le murgé fait sa chèvre et te charge àcouler bas. Ç’en devient vite un boulet fracabourré du 43, qu’il faut recadrer pour qu’il cesse d’accrocher ses lourdes baguettes sur les épaules des autres clients, car il chavire àl’arrachée, complètement carbonisé, la langue double et abîmée, sale, en vin de porc. Éric se démolit jusqu’àce qu’il soit plein comme une vache, il ne se saoule pas, il se déchire la race.
La première fois que je le vois c’est la complète, Éric tient une apoplexie de goret, y m’baratine jusqu’àla fin des siècles, en me gerbant sa beurrade dans le tarin. Malgré ma passion pour le picton, il surprend ma propre religion et c’est plus fort que le Roquefort, ça me chie dans la colle. Alors j’explique àKarl et Dédé que j’veux plus jamais voir ce sac àfoutre.
Sauf que les piliers de bordel finissent toujours par se recroiser, et les cinq ou six fois suivantes, Éric est tout doux tout miel, sage comme une demoiselle... enfin disons de celles qu’ont le crachoir des napolitaines. En fait, je réalise que ce gonze est une mer d’huile àcalme plat, du genre bon papa, excepté les soirs où il a décidé de se prendre une bonne pétée. C’est un gars juste comme il faut pour le 43... juste pour que ce rade àcinglés merdoie... juste comme il faut... juste comme il faut pour notre bon vieux 43.
 

Richard Palachak


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